Pour lâĂ©ternitĂ©
Les os restaient sous lâocĂ©an depuis dâinnombrables annĂ©es,
Ne voulant pas encore remonter Ă la surface pour respirer,
Les os se nourrissaient encore des larmes salées,
VersĂ©es par des ĂȘtres tristes et abandonnĂ©s,
Refoulés du pied et ignorés.
Les os se durcissaient mais vivaient,
Ne voulant toujours pas remonter Ă la surface pour sâĂ©poumoner.
Ils souhaitaient sâenchaĂźner Ă jamais,
Au fond de lâocĂ©an qui semblait les aimer,
Car ils ne voulaient pas encore se dessĂ©cher et sâeffriter.
Ils voulaient se nourrir des larmes salées et rejetées,
Et restaient ainsi Ă jamais,
Ă sâabandonner pour jouer Ă leurs tours et sans dĂ©tours,
Avec toutes ces raies qui ondulaient,
Telles de majestueuses majestés,
Devant leurs yeux émerveillés,
Venant les envelopper, les caresser et leur chuchoter de tendres mots doux,
EntremĂȘlĂ©s dâalgues vaporeuses et floues,
Ondulantes danseuses qui effaçeraient tout,
Car elles savaient les comprendre et les rassurer,
En absorbant telles des éponges,
Leurs troubles songes tourmentés,
Et leur avouer dans le creux de leurs oreilles décharnées,
Quâils nâĂ©taient pas les seuls abandonnĂ©s,
Et que leur mÚre nourriciÚre « La Mer » était là ,
Pour engloutir leur désarroi,
Et quâils devaient se laisser aller Ă la dĂ©rive,
Pour mieux vivre.
Alors les os se dirent que tout compte fait,
LâocĂ©an pourrait enfin les aider Ă surmonter,
Toutes ces tempĂȘtes dĂ©chaĂźnĂ©es qui sâĂ©taient accumulĂ©es,
Telles des baleines échouées sur la plage esseulée,
Pitoyablement ignorées par tous ces humains inhumains ne daignant pas leur tendre la main.
Alors les os se dirent que tout compte fait,
PlutÎt que de rester sur cette plage abandonnée,
Ils se devaient de toujours garder le cap et se relever,
Pour remonter Ă la surface et regarder en face tous ces cĆurs de glace,
Ces navires bondés qui passaient et repassaient devant leur nez pour juste les narguer.
Tous ces infĂąmes sans Ăąmes,
Qui semblaient ignorer quâici-bas,
Gisaient ça et là dans un infini oubli,
Des dĂ©bris dâos brisĂ©s par la vie,
Dâun squelette endormi,
Appartenant sans nul doute à une personne chavirée,
Qui gouttes aprĂšs gouttes, larmes aprĂšs larmes,
Cette naufragĂ©e dâun monde sans pitiĂ©,
Venait de se jeter sans le moindre regret,
Dans cet océan de quiétude qui remplirait enfin sa solitude.
Cette solitude qui la pesait depuis tant dâannĂ©es,
Et que seul lâocĂ©an viendrait effacer Ă coup de grandes et hautes vagues,
Toutes ces attaques de pirates,
Ces envahisseurs des Mers qui voulaient la réduire en poussiÚre,
Ce vague Ă lâĂąme qui la rongeait,
Et qui finirait bien par se désagréger, se dissiper et se cacher,
Au fond dâun coffre Ă trĂ©sors,
Parmi les innombrables piĂšces dâor,
Pour ne plus jamais en ressortir,
Et ce jusquâĂ la mort,
Prisonnier Ă jamais et empĂȘchĂ©,
De détruire sa bien aimée,
Car lui seul, savait la protéger de tous ces empoisonneurs nés,
Tous ces requins qui voulaient la dévorer sans aucune pitié.
Tous ces ĂȘtres nuisibles de la terre,
Ces cĆurs de pierre,
Ces lĂąches avides de guerre,
Qui mĂȘme au-delĂ des frontiĂšres,
Voulaient dâun coup de rĂ©volver,
Ou encore dâun coup dâĂ©pĂ©e,
Lui assener le coup de grĂące tant convoitĂ© pour lâachever,
Avec cette ultime grimace sur leur visages dĂ©formĂ©s dâaliĂ©nĂ©s,
Qui lui diraient dans un éclat de rire prolongé :
« Le pire viendra à venir,
Alors, ne veux-tu pas en finir ? »
Elle avait bien essayé de se camoufler derriÚre le déguisement de ce poisson clown que tout le monde appréciait,
Mais finalement, ce costume lâavait lassĂ©e et Ă©coeurĂ©e,
Alors elle voulait sâen dĂ©barrasser Ă tout jamais,
En nageant au fin fond de ces abßmes si froids mais délicats,
Dont elle nâaurait en aucun cas,
ĂchangĂ© sa place de Reine,
Dans cet arĂšne sous-marin,
Qui lui avait tendu la main,
Et qui la considérait enfin,
Comme une sirĂšne, une Reine.
Et bientĂŽt elle chanterait sa douce mĂ©lodie du bonheur qui lui tenait tant Ă cĆur,
Sans ce soucier de tous ces infĂąmes,
Ces voleurs dâĂąmes,
Qui nâoseraient plus la juger et la jeter au banc des accusĂ©s.
Ătre enfin libĂ©rĂ©e de toutes ces chaĂźnes qui encombraient encore ses poignets.
Ătre enfin libre et sereine,
Dans cet océan de candeur et de douceur,
Qui connaissait dĂ©jĂ par cĆur,
Son joli chant de sirĂšne,
Trop longtemps refoulé,
Par les remous agités de tous ces navires qui osaient lui lancer :
« ArrĂȘte de chanter ! On en a assez ! Tu nous donnes la migraine avec ton chant de sirĂšne ! »
Mais lâocĂ©an nâallait pas tarder Ă les entraĂźner dans son terrible tourbillon,
Car il était furibond,
Que lâon puisse sâattaquer Ă sa bien aimĂ©e.
Et bientÎt tous ces navires bondés,
Qui nâavaient eu de cesse de pourchasser son adorĂ©e,
Se retrouveraient confrontés à sa colÚre légendaire,
Pour disparaĂźtre Ă jamais de cette terre.
Car lâocĂ©an Ă©tait venu la sauver,
De ce monde de cruautés,
De cette suffocante cage de verre et dâacier,
Qui lâavait trop longtemps retenue prisonniĂšre.
Et que pour sâen dĂ©faire,
Elle avait écouté ses conseils avisés.
Et aujourdâhui,
Elle avait décidé de se noyer et de se fondre en lui,
De se jeter Ă corps perdu,
Et de goĂ»ter le sel de cet inconnu dont elle sâĂ©tait toujours dĂ©fendu,
Pour trouver enfin la lumiĂšre,
La réponse à sa priÚre,
Et se dĂ©tacher Ă tout jamais de cet obscuritĂ© qui lâavait fragilisĂ©e,
Pour rejoindre avec délectation,
Ces profondeurs qui lâattiraient avec passion,
Et dans lesquelles elle venait de plonger avec volupté,
En plein cĆur de cette puretĂ© inĂ©galĂ©e,
Limpide Ă souhait,
Qui ne la décevrait jamais.
Pour vivre enfin son conte de fées,
En sâancrant Ă jamais tel un rocher,
Dans ces profondeurs inexplorées.
Car la tentation lâavait gagnĂ©e,
Et que son cĆur venait dâĂȘtre happĂ© et scellĂ© Ă tout jamais,
à son océan bien aimé,
Et ce pour lâĂ©ternitĂ©…
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Un poÚme de Cécile La Suricate.